Une fois n’est pas coutume, je vais utiliser le « je« , en tant que co-président de l’association et créateur du projet. Dans cette période compliquée, il m’est très difficile de mener cette collecte sur Ulule : comment demander décemment des contributions face à un avenir si anxiogène et incertain ? Peut-être en me disant que, plus que jamais, l’attention au vivant et à la diffusion culturelle doivent rester dans nos esprits, alors que ces thèmes n’ont pas été abordés dans la campagne électorale ?
Je m’efface habituellement au profit de la voix neutre et associative. Mais aujourd’hui, j’ai décidé de vous raconter la naissance du projet « Passejada poetica« .
Une marraine-fée
C’est par Pascale Respaud, du groupe Revelhet, que j’ai fait la connaissance de la poétesse Paulina Kamakine. Depuis nos premières Nuits des forêts en 2022, j’aime beaucoup travailler avec Revelhet pour leur générosité, leur engagement au service de l’occitan, leurs recherches et collectages incessants.
Connaissant mon engagement pour la cause féministe via l’association mais aussi mon amour de la littérature en tant qu’enseignant, Pascale m’a mis dans les mains Paraulas de hemnas, l’anthologie de poétesses occitanes de Paulina Kamakine, à l’occasion de mes recherches pour l’exposition Passeuses de mémoire(s) que nous avons organisée en 2023. J’ai beaucoup apprécié ce recueil et la force des poèmes qui y figuraient.
Une rencontre en poésie
Les liens se sont tissés peu à peu et Paulina Kamakine a fini par intervenir lors du festival Journées sorcières d’octobre 2023, lors d’un atelier d’écriture poétique en gascon. Moi qui enseigne le français en collège depuis longtemps, je suis forcément sensible à celles et ceux qui transmettent avec passion et patience, sans compter ni calculer.
Lorsque j’ai vu Paulina et cet enfant si appliqué et si curieux d’une langue gasconne qu’il ne connaissait pas, quand j’ai vu le sourire et les adieux enjoués de cet apprenti poète, j’ai été convaincu : « Il FAUT consacrer la deuxième édition de Célébrer le vivant à Paulina et à la langue gasconne ! «
Ce projet est pour moi au croisement de plusieurs chemins – c’est le cas de le dire ! – : d’abord, mon intérêt constant pour la littérature et la poésie, dont j’ai fait en partie mon métier ; le gascon, cette langue de ma famille maternelle couserannaise, que j’ai eue au creux de l’oreille depuis ma naissance sans jamais la parler ; l’attachement à la terre couserannaise et mon engagement associatif pour la valoriser ; le soutien que je peux apporter à la lutte féministe, ici par la valorisation d’artistes féminines, souvent silenciées. Tout fait sens dans ce projet somme toute très personnel, comme si des morceaux de puzzle s’assemblaient enfin.
Le tissage continue
Après celui de Paulina, c’est le chemin d’Alice Traisnel que j’ai croisé un peu par hasard. Alors que je pestais – encore et toujours – sur le manque de recherches universitaires sur le Couserans, je suis tombé, au gré d’une recherche Internet, sur sa recherche ethnolinguistique sur l’occitan des bergers et éleveurs du Couserans et de Camargue. Alice étant dans cette période toujours intense d’après-soutenance de thèse, je lui ai proposé une intervention pour le festival Journées sorcières d’octobre 2024 et pour Célébrer le vivant. Nous avons discuté de ses photos et de son projet d’exposition – qui a été financé avec succès mais qu’on peut continuer à soutenir ici ! Pour Alice, qui pratique une « science buissonnière », les photos font partie intégrante des traces et sources ethnographiques. C’est donc tout naturellement qu’elles illustreront les panneaux du chemin poétique.
Et puis il y a Sylviane Selma, dont j’ai croisé la route lors de précédents engagements associatifs, amie inspirée et inspirante, qui donne toujours son temps sans compter ni s’essouffler. Amusant comme les mots qui viennent pour elle sont ceux du souffle, du spiritus en latin ! Toujours là, Sylviane a accepté que le chemin soit décoré un peu du land art fait de végétaux glanés localement lors des Nuits des forêts de juin.
Je suis heureux que ces rencontres, aussi associatives que personnelles, aboutissent à cette passejada poetica. Je crois que je ne pourrais pas mettre en valeur, via les programmations de l’association, des artistes dont je n’apprécie pas l’engagement, la sincérité ou le travail. C’est un projet de passionné·es qui s’apprécient beaucoup et qui oeuvrent toutes et tous à mettre un peu plus de culture et de beauté dans ce monde trop abreuvé aux sources d’informations en continu ! De douceur et de lenteur aussi…
À vous !
Aujourd’hui, alors que le monde vacille, c’est à vous de contribuer à ce tissage. C’est un geste sans doute anodin, gratuit, trop modeste, peut-être vain, mais c’est déjà un geste ! Une première action. Un début. Un grain de sable. Candidement, je crois qu’il nous faut contribuer à remettre de la culture dans des zones rurales qui deviennent des déserts culturels, médicaux, institutionnels, où la notion de « liberté individuelle à tout prix » casse le tissu social et où d’anciennes idéologies qu’on croyait disparues retrouvent hélas un terreau favorable. Ce n’est qu’un petit geste. Mais même si c’est modeste… c’est déjà un geste !
Thomas Gargallo pour l’association Journées sorcières
(en image de couverture, Paulina Kamakine recevant le Prix Rimbaud 2023 à la Maison de Poésie, à Paris, photographie personnelle)