Pour vous (re)présenter notre charte et nos divers positionnements associatifs, nous profitons des questionnaires de satisfaction du festival 2023, qui ont permis au public d’exprimer opinions et suggestions. Après un premier article sur l’absence de stand de pierres et cristaux sur le marché, voici le deuxième – plus périlleux et polémique encore ! – sur les intervenants masculins lors du festival Journées sorcières : plantes, autonomie et matrimoine en Couserans.
Sur les questionnaires, trois personnes ont partagé la surprise ou la gêne de la présence d’artistes ou de prestataires masculins au programme. Pourtant, malgré quelques programmations 100% féminines par le passé, nous n’avons jamais prétendu à une non-mixité de genre pour les prestataires. Notre engagement reste cependant entier : nous valorisons, favorisons et mettons en avant les prestataires féminines, afin de lutter contre les discriminations et la silenciation hélas encore trop courantes, encore aujourd’hui. De même, sur notre grand marché annuel, les artistes, productrices et artisanes locales sont très largement majoritaires. Cette valorisation a également cours sur nos deux autres événements : nos participations aux Nuits des forêts en juin et Célébrer le vivant, en août. Même si ces deux événements ne mettent pas spécifiquement en avant le matrimoine et nos engagements écoféministes, ils font toujours la part belle aux artistes féminines, qui y reste largement majoritaires. C’est assez rare pour être souligné. À titre d’exemple, Célébrer le vivant, notre événement estival met chaque année une poétesse différente.
Sur-représentation volontaire et valorisante oui, mais exclusivité, non. En voici les raisons, très multiples.
La première est simplement pragmatique : il est encore parfois difficile de trouver des prestataires féminines qualifiées ET locales pour chaque animation, conférence ou projet que nous voulons mener. C’est très significatif des inégalités mais c’est, hélas, une réalité organisationnelle que nous devons prendre en compte. De même, pour garantir un marché annuel diversifié et attirant, il n’est pas toujours facile de trouver une artisane ou productrice qui soit à la fois locale, engagée dans des labels éthiques, disponible et intéressée.
La deuxième est éthique et tient, justement, dans notre engagement. Une grande enquête récente menée par le CREDOC a souligné l’importance des stéréotypes de genre dans le choix des carrières :
47 % des hommes sont convaincus de la moindre attirance des garçons pour les filières paramédicales et sociales, contre 36 % des femmes. De même, 36 % des hommes sont convaincus de la moindre attirance des filles pour les filières scientifiques, contre 28 % des femmes.
Source CREDOC / INSEE ici
C’est toute l’orientation scolaire des jeunes filles et jeunes garçons qui est « biaisée » dès le plus jeune âge (source ici). En ce qui nous concerne, les activités que nous proposons sont encore, dans l’imaginaire collectif, très associées aux femmes : fleurs, plantes, botanique, confection de cosmétiques ou d’infusions, écriture de soi, etc. Tout autant de domaines qui, dans les stéréotypes, menacent la masculinité de l’homme qui s’y consacrerait (source ici). C’est finalement tout le monde du care qu’on associe aux femmes.
Les stéréotypes se définissent alors comme un ensemble de croyances, en termes de traits de personnalité et/ou de comportement, qui est censé être associé à un groupe social donné. »
Christine Morel Messabel, chercheuse en psychologie sociale (source ici)
Aux femmes la douceur, le soin, la parentalité, la sensibilité, les domaines de la maison et aux hommes les domaines de l’action ? Dans l’association, nous n’apprécions pas ces propos essentialistes. Ils ne sont pas sans rappeler le concept très décrié de « féminin sacré« . Ainsi, proposer des activités botaniques ou cosmétiques menées par des hommes, c’est aussi lutter contre certains stéréotypes de genre. Nous le rappelons : nous valorisons et priorisons sans cesse les prestataires féminines, mais proposer à un prestataire masculin un atelier traditionnellement « féminisé », cela peut être tout aussi engagé en termes de lutte contre les stéréotypes.
La troisième raison est déontologique : au moment de l’étape des devis et des contrats, chaque prestataire coche, une case rappelant son engagement pour maintenir un espace safe durant le festival et pour signifier son respect des valeurs associatives, notamment sur le sujet des discriminations de genre, d’origine et d’orientation sexuelle. C’est pour nous une vraie garantie de préservation des valeurs du festival.
La quatrième raison est plus stratégique. Nous le répétons inlassablement depuis nos débuts : notre festival n’est pas « la Journée des sorcières » mais des journées elles-mêmes sorcières, magiques, mémorables, sachantes et puissantes. Pourtant, une partie du public persiste à croire qu’il s’agit d’une animation réservée aux femmes et ne vient pas au festival. Un « truc de meufs », quoi ! Notre objectif est d’amener TOUT le monde – y compris les hommes – à une meilleure connaissance des plantes et donc à un plus grand respect de l’environnement. Il s’agit aussi d’amener TOUT le monde à s’intéresser à l’histoire des femmes et à la notion de matrimoine pyrénéen. Stratégiquement, cela demande quelques concessions… Enfin, nous voulons amener les hommes à s’intéresser aux questions de genre mais aussi à s’engager dans des questions plus intimes, comme la contraception. Dans cette optique, l’an dernier, l’association Garcon et le collectif Apéro contraceptif ont bénéficié d’un temps sur notre espace associatif, au même titre que le Planning familial Ariège, pour montrer que la charge mentale de la contraception doit être partagée.
La cinquième et dernière raison tient plus au numéro d’équilibriste que nous menons depuis le début, et à cette voie médiane, à la fois engagée et stratégique. Si nous faisons appel parfois à des prestataires masculins, nous ménageons parallèlement des espaces de non-mixité durant le festival Journées sorcières. Victoire Tuaillon a consacré un numéro de son excellent podcast Les Couilles sur la Table aux espaces de sociabilité en non-mixité de genre sont très nombreux pour les hommes (clubs, sports, réseaux divers, etc.). Ce boys club est encore très puissant. Les espaces de non-mixité entre femmes et les lieux de sororité sont, quant à eux, nettement moins nombreux. À notre modeste mesure, nous en proposons sur le festival quand nous estimons qu’ils sont importants pour la libre expression ou pour la libération d’une parole souvent empêchée. L’an dernier, il s’est agi d’un atelier d’art-thérapie, d’un atelier de chant et d’un « ca’féministe » d’Osez le féminisme.
Pour conclure, nous n’avons jamais prétendu à une exclusivité des prestataires féminines, mais plutôt à leur valorisation très forte. D’aucun·es pourront dire que ce n’est pas assez engagé et militant, mais tel est le choix de l’association dès sa création. Ce glissement ou ce malentendu sont pour nous de très bons signes : le public s’approprie et fait sien le festival ! Et c’est un vrai bonheur et un vrai cadeau pour nous, après tant d’heures consacrées à l’événement ! Et puis… pour un événement grand public et familial, franchement, qui dit mieux ?
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